Thédore Agrippa d’Aubigné, poète et historien

   Il y a trois cent soixante dix ans naissait à Pons Agrippa d’Aubigné, écrivain qui a laissé trace dans la littérature nationale, après une vie d’action et de réflexion. Il fut poète, historien, mémorialiste, mais aussi polémiste de premier plan. Son œuvre fut riche et pleine et a gardé quelque rapport avec la Vendée puisque son livre principal « Les Tragiques » fut imprimé dans les caves de son logis à Fort Doignon, commune de Maillé.

   Orphelin de mère, il fut élevé par son père dans les idées réformistes et l’intransigeance. Il atteignit une belle érudition, apprenant les langues latine, grecque et hébraïque dès l’âge de six ans, puis perfectionna ses études à Paris, travaillant notamment les mathématiques, l’histoire et la théologie, avant de partir à treize ans à Genève auprès du grand théologien protestant Théodore de Bèze. Ayant promis à son père, qui mourut peu après le début des Guerres de Religion, de venger l’honneur de ces amis calvinistes, il entra en guerre, participant aux batailles de Jarnac et de Moncontour, échappa de peu au massacre de la Saint-Barthélémy. Il servit avec zèle son ami Henri de Navarre dont il fut l’écuyer et l’ami, avec lequel il combattit en Gascogne, dans le Midi, l’ouest et le nord de la France. A mort du roi Henri III, le roi de Navarre devenu Henri IV, les guerres redoublèrent d’intensité contre la Ligue qui voulait à tout pris un roi catholique. Agrippa d’Aubigné participa au combats en Normandie puis au siège de Paris. Mais, indigné du projet du roi de se convertir à la religion catholique, il s’éloigna de son ancien ami et se retira à Maillezais, dont il avait nommé gouverneur en 1589, habitant plus précisément Fort Doignon, sur la commune de Maillé.

   Il s’y recentra sur ses activités littéraires, la poésie ayant toujours trouvé une place dans les errances de ses campagnes militaires, tout en restant attentif à la politique du roi Henri IV. Celui-ci mort en 1610, D’Aubigné lutta pour défendre la religion réformée et les acquis de l’Edit de Nantes mais, menacé, il dut se retirer à Saint-Jean d’Angély, à une époque où le nouveau roi Louis XIII et son ministre Richelieu étaient prêts à tout pour assujettir définitivement les Protestants de France. En 1620, Agrippa d’Aubigné se réfugiait à Genève, où, ne possédant plus rien, il était hébergé par la ville. Il y mourut en 1630.

    Son œuvre, abondante et de grande ampleur dans tous les domaines ou presque, fut ensuite oubliée à l’époque classique, et il fallut attendre les romantiques, Sainte-Beuve et Victor Hugo pour qu’elle fût remise à l’honneur. Ses livres en prose ont vocation de témoignage et véhiculent les idées d’Agrippa d’Aubigné autant que celles des Réformés aux époques difficiles. La plus importante est sans conteste son « Histoire universelle », publiée en plusieurs parties en 1616. Elle suit les événements qui secouent le royaume de 1553 à la mort d’Henri IV et offre le vécu des Huguenots et leur point de vue sur les conflits. « Les aventures du baron de Fæneste » et la « Confession catholique du Sieur Sancy » sont des récits satiriques et parfois picaresques sur les mœurs de l’époque, particulièrement celles des petits seigneurs catholiques qui n’hésitent pas à changer de religion selon les courants du temps. La dimension religieuse est aussi bien représentée avec les « Méditations sur les psaumes », « Le caducée ou l’ange de paix » et « l’Hercule chrétien ».

   Mais c’est surtout par la poésie que l’on connaît Agrippa d’Aubigné. Pas sa poésie religieuse inspirée par la Bible, dans laquelle, il n’hésite jamais à donner en exemple son sentiment religieux, comme pour guider les fidèles de la Réforme. Pas sa poésie lyrique qui épanche les courir mille frissons, de ferveur et de frustration emmêlées, dans les poèmes d’amour du recueil intitulé « Le printemps ». Mais bien dans sa grande œuvre intitulées « Les Tragiques ».

   Œuvre protée de près de onze mille vers, multi tons et multi ambitions, assemble mille tableaux plus tranchants les uns que les autres, qui ont pour toile de fond les Guerres de Religion. C’est un livre de colère et de hargne, aux lignes parcourues par de grandes flambées d’invectives qui se gonflent en amples hyperboles. D’Aubigné y déploie la fougue de son caractère impétueux et son énergie grandiose de visionnaire. Il montre du doigt et il pourfend, dans une satire d’une âpreté sans mesure où les rages partisanes se déroulent en imprécations qui maudissent. La thématique du corps blessé, torturé, réduit à la putréfaction, allant jusqu’au macabre, revient fréquemment dans ces vers de désolation et d’emportement.

Et couchés dans le feu, ou de graisses flambantes

Les corps nus tenaillés, ou les plaintes pressantes

De leurs enfants pendus par les pieds, arrachés

Du sein qu’ils empoignaient, des tétins asséchés ;

      Le poète multiplie invocations lyriques ou élégiaques, allégories assorties d’une satire rugueuse, explications théologiques, et récits anecdotiques qui nourrissent une épopée à multiples facettes, une sorte de « légende du siècle ». Avec D’Aubigné, nous sommes entrés dans le Baroque. Le Baroque de la couleur et de la démesure, de la puissance et de l’emphase, dont le courant artistique a déjà inondé l’Europe et commence à déferler sur la France. Sa personnalité intransigeante et son œuvre flamboyante sont à redécouvrir.